• La guerre, c'était mieux avant... notamment vu par les yeux des enfants.

    Ainsi, pendant la guerre de 1870 et le siège de Paris, Louis Vernes, président du Consistoire de Paris et pasteur aux Batignolles, a envoyé ses enfants à la campagne. Sa fille Hélène Vernes, née en 1862, a huit/neuf ans, et lui écrit une très... charmante lettre (issue, en avant-première, d'un fonds en cours d'inventaire qui sera coté 044Y) :

    miam miam...

    ©  SHPF, Paris

     

    Transcription de la lettre entière :

     

    Mon cher Papa,                                                                                                      Févier 27  1870*

    Je pense que tu dois être bien occupé à soigner [raturé : "ramasser"] des blessés avec oncle Félix**. Est-ce que tu manges encore du rat ? Je ne voudrais pas être à ta place pour en manger.

    Maman comment va-t-elle ? Dis lui que nous sommes alles avant hier Miss Witts Lucile Joseph, et moi, au pré bossu pour jouer à cache cache et nous sommes bien amusés. Charles et Amédée sont très occupes dans le jardin car Monsieur Jeaussaume a envoyé des plantes. Adieu mon cher Papa embrasse bien Maman et bonne Maman.

    Ta fille affectionnée

    Hélène Vernes

     

    Aujourd'hui encore, les enfants sautent facilement du coq à l'âne, des villes sont encore assiégées, et les parents essaient toujours de protéger les enfants de la guerre, même quand la campagne-refuge est au-delà des frontières et des mers...

     

    *On peut penser que la demoiselle s'est trompée dans l'année : a priori, il doit s'agir plutôt de février 1871, pas 1870, car Paris était en paix en février 1870...

    **Félix Vernes, banquier, était à la fois le grand-oncle et l'oncle de la petite Hélène : grand-oncle car oncle de Louis Vernes, le père d'Hélène, et oncle par alliance car il a épousé sa... nièce Adèle Vernes, sœur de Louis Vernes et tante d'Hélène... et il y en a d'autres comme ça dans ce fonds 044Y...

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  • Deux éléments concomitants viennent se télescoper dans cet article : une demande iconographique, et une communication de très très gros livres... qui donnent à réfléchir sur le portrait à travers le temps.

    Notre premier portrait est celui de Luther, en pied, dans son cabinet de travail, avec un bureau, une chaise dont la dureté apparente est adoucie par un coussin généreux, un lutrin sur le bureau pour incliner les ouvrages à lire ou écrire, des livres (petits et gros), un encrier, un sablier... et un cygne.

    Portrait aux livres

    Luther, gravure allemande, cote : LU42 (©SHPF, Paris)

    On peut raisonnablement se douter que Luther, dans son bureau, ne travaillait pas avec un cygne, qui a donc ici une valeur symbolique. Il fait référence à une phrase attribuée à Jan Hus, emprisonné et condamné à être brûlé vif par la papauté au Concile de Constance, qui déclara : "Ils peuvent tuer l'oie [dans sa langue, hus signifie oie], mais dans un siècle apparaîtra un cygne qu'ils ne pourront brûler !". Luther était ainsi surnommé "le cygne d'Eisleben" (sa ville de naissance), et d'autres portraits le montrent accompagné de cet animal.

    Vous pouvez aussi remarquer la mise en évidence, sur un premier plan par rapport à Luther, d'une grosse Bible posée par terre, dont on sait le contenu du fait que sa tranche est écrite ou peinte selon son titre. L'Ecriture prime sur le réformateur.

     

    Passons quelques siècles, et intéressons-nous au portrait ci-dessous : ce n'est pas un autoportrait photographique (il faut bien que les bibliothécaires servent encore à quelque chose...), car il est bien difficile de porter un livre de 20 kg d'une main pendant que l'on tient son smartphone de l'autre...

    Portrait aux livres

    Mr Drew, avec son aimable autorisation

    Il s'agit donc de M. Drew, qui fait des recherches sur l'histoire des impressions de Luther à Wittenberg, et se doit donc de vérifier livre en main ce type d'impressions du premier 16e siècle. Devant les lacunes de notre catalogue (fiches sans date ni nom d'imprimeur...), il a donc été amené à demander en même temps... les deux volumes quasiment les plus imposants que nous ayons (de ceux que l'on prend et que l'on range à deux, en haut de l'échelle, pour ne pas risquer de chuter sous leur poids sans être rattrapée par sa collègue...). Il a donc souhaité immortaliser cette monumentale rencontre par un portrait.

    Qu'y voit-on ? Un homme qui sourit, portant une énorme Bible, alors qu'une autre est posée sur un lutrin, lui-même sur une table de travail. Une prise branchée évoque, hors champ, la présence d'un ordinateur portable, et le temps qui passe est compté sur l'écran du téléphone qui a servi à prendre la photographie. On voit aussi que M. Drew n'est pas chez lui, mais dans une bibliothèque, dans laquelle la dureté des chaises n'est pas adoucie par des assises moelleuses (il ne faudrait pas exagérer, on n'est pas chez Google ® : étudier, ça doit faire mal à la tête ET au dos !)...

     

    Entre les deux portraits, donc, quelques différences : un sourire, le confort (c'était mieux avant...quoi que, question chauffage, peut-être pas, finalement !), le lieu (privé/collectif), la technique (gravure avec symbole/photographie réaliste)...

    Sinon, beaucoup de similitudes : l'ordinateur est l'encrier d'aujourd'hui, le smartphone un sablier moderne, le lutrin... un lutrin, la Bible... une Bible, l'érudit... un érudit (au moins en devenir) !

    Donc, n'hésitez pas : photographiez-vous ou faites-vous photographier avec votre livre ancien préféré, et épatez vos amis érudits avec une parenthèse de légèreté !

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  • Ces derniers temps, dans le cadre de la numérisation du fonds André (1), nous avons eu à faire des tables des matières d'extraits de l'Ancien Testament, publiés en hébreu biblique (vocalisé) par Robert Estienne au milieu des années 1540.

    La première surprise fut de constater que la numérotation des chapitres n'était pas en chiffres arabes ou romains, mais utilisait l'ordre des lettres de l'alphabet hébraïque pour compter :

    • première lettre (aleph) = 1
    • deuxième lettre (beth) = 2

    etc...

    Les appels de début de chapitre sont bien visibles en marge du texte principal :

    Sacrées mathématiques !

    8° 23503 RES. : début du 2e chapitre de I Samuel avec le beth (2) dans la marge (©SHPF)

    Cela donne un le tableau de numérotation suivant (petit rappel : dans chaque case en hébreu, la lecture se fait de droite à gauche...) :

    Sacrées mathématiques !

    En même temps, si vous regardez bien le tableau, vous verrez une autre surprise : le 15 n'est pas obtenu, comme ses camarades de dizaine, en additionnant 10+5, mais 9+6. Si le résultat est le même, l'écriture en est très différente.

    Et j'ai donc demandé à une lectrice qui a écrit ce livre, si elle pouvait m'éclairer sur cet étonnement. Voici le résumé de nos échanges :

    • LaBPF : - Pourquoi, dans ce contexte, c'est 9+6 qui est utilisé et non 10+5 ?
    • Mme Schwarzfuchs : - Voici la réponse : Youd[10]* hé[5]* correspond au nom de Dieu et il est interdit aux juifs de le prononcer. Donc on remplace ce chiffre par têt[9]* waw[6]*.
    • LaBPF : - Je savais que c'était le tétragramme complet qu'il était interdit de prononcer, mais je ne savais pas qu'il en était de même pour ces deux caractères dans cet ordre.
    • Mme Schwarzfuchs : - les deux caractères sont encore plus interdits!

     

    Bon, il était aussi possible d'aller voir sur Wikipédia, mais il y a quand même une différence : dans nos volumes, le 16 est bien rendu par 10+6, ce qui semblait donc possible au milieu du XVIe siècle mais pas aujourd'hui... à moins que Robert Estienne n'ait pas eu connaissance de cette interdiction ou n'en ait pas tenu compte... ?(2)

    * les mentions entre crochets ont été rajoutées par LaBPF

    (1) Pour les personnes intéressées par le mécénat, le projet continue sur 2015...

    (2) Commentaire de Mme Schwarzfuchs après avoir lu cet article : "L'interdiction pour le 16 est moins sévère que pour le 15. Raison pour laquelle Estienne n'en tient pas compte."

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  • C'est nous les Canuts !

    Ms 968 - sous cote à venir (©SHPF, Paris)

    Le fonds Ms 968 concerne principalement la commune de Ste Croix dans la Drôme. Il a été envoyé à la SHPF en 1887 par le pasteur Emile Gaidan (1836-1915 ; pasteur à Sainte-Croix de 1880 à 1889), qui avait trouvé cette masse de documents dans les greniers de sa paroisse. Il représente une petite cinquantaine de cartons d’archives.

    Ce fonds regroupe des documents de type divers, principalement des documents juridiques, des pièces notariées, des archives consulaires puis municipales, et de la correspondance familiale et d’affaires, couvrant la période début 17e-début 19e siècle.

    Un essai de classement a été entrepris dans les années 1990 : les documents d’histoire religieuse et généalogique (état civil) ont été classés. Seules les archives sur la destruction du temple et le procès contre Pierre Bouvat qui s’ensuivit ont été étudiés (Bulletin de la SHPF, 1995 : Guy Combes : La destruction du premier temple de Sainte-Croix-en-Diois (1664-1665) . pp. 245-260).

     

    Ce document fait partie des quelques pamphlets et pièces de littérature satirique (18e siècle) conservés dans ce fonds.

    Il date du 19e siècle et plus précisément des années 1830. C’est le questionnaire récité par les nouveaux adhérents de la Société des Familles, créée à Paris par Blanqui, Barbès et Bernard, après la dissolution de la Société des Droits de l’homme. Elle deviendra la Société des Saisons en 1837 et lancera le coup d’Etat contre Louis-Philippe de mai 1839 à Paris. Elle fait partie des nombreuses sociétés secrètes d’inspiration babouviste, prônant un communisme égalitaire.

    On trouve ce questionnaire mentionné dans le procès qui suivit l’insurrection : Cour des pairs. Affaire des 12 et 13 mai 1839 par M. Merilhou

    La Société des Droits de l’Homme avait de nombreuses filiales, notamment à Lyon et à Grenoble qui ont continué d’exister clandestinement malgré les lois contre les associations républicaines (1834).

    Ce document fait certainement écho aux insurrections lyonnaises, la Révolte des Canuts en octobre 1831 et les émeutes d’avril 1834 qui se sont propagés dans la région. Les habitants de Sainte-Croix, centre de sériciculture comme de nombreuses communes de la Drôme, devaient se sentir concernés par les revendications des Canuts sur les salaires des ouvriers de la soie.

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  • Il y a quelques années, un chercheur américain avait téléphoné avec une demande étrange (il faut imaginer un très fort accent américain) :

    - Bonjour madame, j'aurais souhaité visiter la crypte de la bibliothèque

    -..... la crypte ?... Je ne vois pas trop de quoi il pourrait s'agir...

    - Mais si, vous savez, la crypte en sous-sol...

    - ... en sous-sol, nous avons des aménagements avec des compactus pour ranger les archives et les périodiques... c'est de cela dont vous parlez ? Parce que cela ne se visite pas, ce n'est pas très intéressant historiquement parlant...

    - Non, l'endroit où sont les os du cimetière protestant qui était plus bas dans la rue...

    - Ah, il s'agit de cela... mais cela ne se visite pas, c'est une sorte de réduit aménagé sous un escalier, on ne peut pas entrer dedans, c'est trop petit... ils ne sont pas mis en scène comme dans les catacombes...

    Décryptage

    Les os de la "crypte" (©SHPF, Paris)

    Et oui, suite à des travaux effectués en 1937 au 49 (aujourd'hui 30) rue des Saints-Pères, des ossements (principalement des os de bras, jambes, bassins...) avaient été exhumés, et la SHPF les avait pris en charge, probablement pour les sauver, au mieux, de la fosse commune....

    Décryptage

    Plaque aposée sur la porte de la "crypte" (©SHPF, Paris)

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